imaginaire
Toute image renvoie à une absence présente...d'où sa difficulté à être ressaisie.
On veut toujours que l'imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images. S'il n'y a pas changement d'images, union inattendue des images, il n'y a pas imagination, il n'y a pas d'action imaginante. Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne détermine pas une prodigalité d'images aberrantes, une explosion d'images, il n'y a pas imagination. Il y a perception, souvenir d'une perception, mémoire familière, habitude des couleurs et des formes. Le vocable fondamental qui correspond à l'imagination, ce n'est pas image, c'est imaginaire. La valeur d'une image se mesure à l'étendue de son auréole imaginaire. Grâce à l'imaginaire, l'imagination est essentiellement ouverte, évasive. Elle est dans le psychisme humain l'expérience même de l'ouverture, l'expérience même de la nouveauté. Plus que toute autre puissance, elle spécifie le psychisme humain.
Gaston Bachelard
Ne pas confondre image et imaginaire, tel est l'idée principale de ce texte de Bachelard.
la perception immédiate nous fournit des images qui peuvent être dangereuses dans le domaine épistémologique. Il faut briser les images dira Bachelard dans d'autres textes. L'image nous induit en erreur, comme la monnaie qui est une représentation mensongère du travail selon Foucault. Elle nous envahit de sa présence (ex: la pub)à la différence de l'écriture, dont l'apparition devient absence dans ses adaptations cinématographiques. Présence qui cependant butte sur ses propres limites, comme l'écrit Descartes à propos du chiliogone:
Je remarque premièrement la différence qui est entre l'imagination et la pure intellection, ou conception. Par exemple, lorsque j'imagine un triangle, je ne le conçois pas seulement comme une figure composée et comprise de trois lignes, mais outre cela je considère ces trois lignes comme présentes par la force et l'application intérieure de mon esprit ; et c'est proprement ce que j'appelle imaginer. Que si je veux penser à un chiliogone, je conçois bien à la vérité que c'est une figure composée de mille côtés, aussi facilement que je conçois qu'un triangle est une figure composée de trois côtés seulement, mais je ne puis pas imaginer les mille côtés d'un chiliogone, comme je fais les trois d'un triangle, ni pour ainsi dire, les regarder comme présents avec les yeux de mon esprit. Et quoique suivant la coutume que j'ai de me servir toujours de mon imagination, lorsque je pense aux choses corporelles, il arrive qu'en concevant un chiliogone, je me représente confusément quelque figure, toutefois il est très évident que cette figure n'est point un chiliogone, puisqu'elle ne diffère nullement de celle que je me représenterais, si je pensais à un myriagone, ou à quelque autre figure de beaucoup de côtés ; et qu'elle ne sert en aucune façon à découvrir les propriétés qui font la différence du chiliogone d'avec les autres polygones.
Que s'il est question de considérer un pentagone, il est bien vrai que je puis concevoir sa figure, aussi bien que celle d'un chiliogone, sans le secours de l'imagination ; mais je la puis aussi imaginer en appliquant l'attention de mon esprit à chacun de ses cinq côtés, et tout ensemble à l'aire, ou à l'espace qu'ils renferment. Ainsi je connais clairement que j'ai besoin d'une particulière contention d'esprit pour imaginer, de laquelle je ne me sers point pour concevoir ; et cette particulière contention d'esprit montre évidemment la différence qui est entre l'imagination et l'intellection ou conception pure.
DESCARTES, Méditations métaphysiques, VI
lisons aussi la condamnation sans appel de Pascal:
«Imagination. C'est cette partie dominante dans l'homme, cette maîtresse d'erreur et de fausseté, et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours ; car elle serait règle infaillible de vérité, si elle l'était infaillible du mensonge. Mais, étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant du même caractère le vrai et le faux.
Je ne parle pas des fous, je parle des plus sages ; et c'est parmi eux que l'imagination a le grand droit de persuader les hommes. La raison a beau crier, elle ne peut mettre le prix aux choses.
Cette superbe puissance, ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde nature. Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres ; elle fait croire, douter, nier la raison ; elle suspend les sens, elle les fait sentir ; elle a ses fous et ses sages : et rien ne nous dépite davantage que de voir qu'elle remplit ses hôtes d'une satisfaction bien autrement pleine et entière que la raison. Les habiles par imagination se plaisent tout autrement à eux-mêmes que les prudents ne se peuvent raisonnablement plaire. Ils regardent les gens avec empire ; ils disputent avec hardiesse et confiance; les autres, avec crainte et défiance : et cette gaieté de visage leur donne souvent l'avantage dans l'opinion des écoutants, tant les sages imaginaires ont de faveur auprès des juges de même nature. Elle ne peut rendre sages les fous; mais elle les rend heureux, à l'envi de la raison qui ne peut rendre ses amis que misérables, l'une les couvrant de gloire, l'autre de honte...>>
PASCAL, Pensées
cependant, cette critique de l'image éloignée de la vérité et du réel, que l'on retrouvera aussi chez Roland Barthes, dans La Chambre Claire, à propos de la photographie qu'il dissocie de la peinture, il faut la relativiser.
Tout d'abord parce que les mêmes critiques de l'image vont parfois lui attribuer une fonction utile. C'est ainsi que Platon, qui bien souvent voit dans l'image un simulacre sophistique, écrit des mythes dont la force philosophique est dans ce travail du non-dit et de
Bachelard
l'interprétation.
Descartes recourt très souvent à des comparaisons, et valorise tous les travaux autour de l'optique (voir le livre de la Dioptrique, suite au Discours de la Méthode).
L'image peut remplir une fonction pédagogique (ainsi en va-t-il de l'image de l'essaim d'abeilles, dans Ménon de Platon, image productrice de sens).
L'image peut instruire, avec toutefois le risque que cette instruction devienne propagande. Le mutisme de l'image doit être accompagné d'une parole, pour lui retirer son équivocité fondamentale.
L'image introduit aussi à une autre temporalité que celle de l'écriture par exemple. Elle se donne dans l'instantanéité, la simultanéité, et ne se déploie pas sur une représentation linéaire du temps, comme c'est le cas du texte narratif ou du concept, à qui il faut la lenteur de l'élaboration. La rhétorique se servira de cette conception du temps pour séduire ses auditeurs
Si in reprend le texte de Bachelard, il y a une force de l'image, qui consiste à "déformer" les images premières, issues de la perception. L'image doit produire d'autres images, détachées de la simple répétition, dans un enchaînement incessant et ouvert. C'est la tâche du poète par exemple que de revivifier les images qui trop vite s'usent.
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André Breton, Premier Manifeste du Surréalisme, 1924
Magritte
C'est ce que l'on pourrait appeler production de l'imaginaire...L'imaginaire se retrouverait du côté de la création, différent de l'imagination, outil de reproduction..
Ainsi l'imaginaire est-il créatif d'un autre réel, un élargissement, dirons-nous, de la réalité.
Toutefois il est rattaché à l'affectif et à la sensibilité. Dès lors il est entre la perception et la raison, caractéristique humaine qui permet à ce dernier de se forger des représentations symboliques, son monde.( voir les stoïciens) L'imaginaire n'est pas le délire.
Prenons l'exemple de l'arbre pour stratifier les différents niveaux de l'image.
- ramifications:
imagerie visible
-tronc: fait circuler la sève. Renvoie à ce qui rend possible la diffusion des images, symboliques. Le chêne par ex renvoie à des images allégoriques, morales...qui dépassent sa simple image.
-racines: les images renvoient à une formation archétypale.
le sens de l'image quand on l'interprète a des sens de plus en plus complexes, comme c'est le cas si on analyse ce tableau de Cranach. On peut y voir une nudité peinte, puis Adam et Eve puis plus profondément, une peinture du féminin et du masculin...
Si on se réfère à la Poétique de l'espace de Bachelard, la maison est du fait de notre imaginaire, bien plus qu'un coin pour dormir.
"La maison, le dedans est notre première mère. Nous y sommes protégés un peu comme le fœtus, pour y vivre nos premières expériences, y puiser de la force avant de nous envoler comme l’oiseau hors du nid. « Car la maison est notre coin du monde. Elle est (…) notre premier univers. » (p. 24) Ce passage est obligatoire, dans les balbutiements de l’éclosion à la vie et permet d’accéder au rêve (p. 24)."
Cet élargissement du réel par l'imagination créatrice trouve sa source chez Bergson, dans la fonction fabulatrice propre à l'homme:
Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion
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