la démocratie doit-elle nous promettre le bonheur?
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Vous avez raison, citoyen. Ces paroles, prononcées il y a plus de 200 ans, le 13 ventôse an II, semblent toujours accrocher, au point de rentrer dans les
dictionnaires. Peu de phrases semées au vent de l'histoire restent dans la mémoire de la postérité. Si celle-ci est encore vivante, si les esprits tournent toujours vers cette fameuse
formule, c'est qu'elle n'a point perdu de son actualité. Et cela veut dire, hélas, que le bonheur reste toujours à conquérir. Néanmoins, je voudrais replacer cette phrase dans son contexte historique. La recherche du bonheur en elle-même est sûrement aussi vieille que le monde, et je ne prétends dire quelque chose de nouveau là-dessus. J'avoue même qu'en l'an II l'idée du bonheur était neuve tout d'abord pour moi-même. Mais c'est à l'époque de la Révolution, que les gens ont osé dire ouvertement qu'ils sont malheureux, qu'ils ont le droit de réclamer leur bonheur à leur gouvernement. C'est à cette époque-là, que l'idée du bonheur de chacun et de tous rentre dans l'esprit public, dans les textes constitutionnels comme un droit inaliénable. L'article premier de la Déclaration qui précède la Constitution de 1793, postule: «Le but de la société est le bonheur commun», dont le gouvernement est le garant. 200 ans se sont écoulés depuis, le temps et le progrès ont atténué le malheur et la misère, mais l'aisance et le développement technique n'ont guère mené au bonheur. Bien au contraire, et vous avez bien remarqué, citoyen, les gouvernements préfèrent vouer leur peuple aux guerres plutôt que veiller sur le perfectionnement des conditions humaines. Aujourd'hui, l'Europe croit y parvenir en se réunissant. Mais tant que les gouvernements resteront sourds aux réclamations des peuples, en oubliant les principes mêmes auxquels ils prêtent serment, le bonheur restera juste une idée. Antoine Saint-Just |